Et Phillips inventa le montant à 8 chiffres logique

A moins d'habiter dans une station orbitale autour de Pluton, il était impossible d'échapper à la vente Phillips qui s'est déroulé le 26 octobre 2017 à New-York et dont le thème était les "winning icons, montres légendaires du 20ième siècle". Winning icons, rarement une vente aura aussi bien porté son nom! Les résultats obtenus et les records battus par certaines pièces m'inspirent ces quelques réflexions:
  • le grand gagnant dans cette vente, c'est incontestablement Phillips. La dream team de Phillips démontre une fois de plus qu'elle domine nettement le marché des enchères de montres de collection. A la lecture de ces scores, se rajoutant aux précédents, difficile pour un client souhaitant vendre une pièce majeure de miser sur un autre cheval que Phillips. Phillips a tout pour lui: un leader, une équipe, les bonnes connexions avec les médias et les collectionneurs, le vent en poupe et la réussite. Les belles pièces à acheter attirent les bons clients, ce qui attirent les belles montres à vendre. Bref, un cercle vertueux.
  • Il faut dire que Phillips a la rare capacité de savoir créer le buzz et de faire monter la mayonnaise: non seulement son équipe maîtrise parfaitement l'horlogerie de collection mais des personnalités comme Alex Ghotbi, Paul Boutros ou Arthur Touchot connaissent également sur le bout des doigts le fonctionnement des médias sociaux, des blogs et autres magazines en ligne. C'est peut être à ce niveau là que tout se joue: alors qu'il y a quelques années les médias annonçaient les enchères à venir puis commentaient gentiment les résultats, Phillips parvient à obtenir de leur part un véritable accompagnement, un soutien indéfectible qui contribuent à l'aura d'une vente et donc, plus ou moins directement, aux montants des enchères. Le revers de la médaille est que le rôle de certains médias ne plaît pas à tout le monde et des commentaires assez acerbes apparaissent ici et là de la part de collectionneurs qui trouvent que ce mélange des genres nuit à une certaine objectivité.
  • En tout cas, vendredi matin, en me réveillant, je me suis retrouvé avec une bonne cinquantaine, pour ne pas dire une centaine de "live", émanant de comptes horlogers de tout poil et filmés depuis la salle de vente: tout le monde était au taquet et l'overdose n'était pas loin.
  • Phillips n'est pas critiquable sur ce point: c'est son métier de vendre le mieux possible les pièces qui lui ont été confiées. Et là, personne ne peut contester cette redoutable efficacité. Mais j'aurais aimé, ou cela m'a échappé, que certains apportent plus de contradiction sur le postulat que la montre Rolex Paul Newman de Paul Newman était la montre-bracelet la plus "iconique" du XXième siècle dixit Aurel Bacs. Est-ce vraiment le cas? Est-elle plus "iconique" qu'une des Speedmaster à être véritablement allé sur la Lune? On n'est pas dans l'analyse d'un contenu horloger qui peut hiérarchiser les montres: ici, on est dans la subjectivité pure et dure. Qu'importe après tout puisque tout le monde a embrayé là-dessus et à force de répéter, c'est devenu une évidence.
  • Alors, le montant de l'enchère gagnante, totalement hallucinant, est devenu presque attendu. Les sondages effectués auprès de différentes communautés d'amateurs montraient que beaucoup s'attendaient à un chiffre supérieur à 10 millions de dollars. Et c'est là le génie de Phillips, qui est tout sauf le fruit du hasard: l'irrationnel, le démesuré, le montant à 8 chiffres sont logiques puisque anticipés et pronostiqués. Du travail d'artiste.
Le hashtag #paulnewmandaytona a été très actif, le symbole d'une vente rarement autant médiatisée:


Pour Phillips, une bonne nouvelle ne vient jamais seule. J'en vois trois autres à mettre à avant:
  • la Duality n° 00 de Philippe Dufour a également fait un carton. C'est excellent pour l'horlogerie indépendante qui apporte ici la démonstration qu'elle peut aussi performer lorsqu'elle combine intérêt horloger et rareté. Et c'est excellent pour Phillips qui prouve que la maison peut vendre autre chose que du Patek ou du Rolex.
  • la vente s'est déroulé à New-York et remet les Etats-Unis dans le jeu. Félicitations donc à Paul Boutros... le tout dans le contexte de la déconfiture d'Antiquorum New-York. Il était donc important que Phillips, au-delà de son propre intérêt, réussisse cette vente afin de redonner une confiance dans le système.
  • la dernière bonne nouvelle est que Rolex détient maintenant le record de la montre-bracelet la plus chère au monde. Il s'agit d'un équilibre instable qui va générer du mouvement. J'imagine mal cette situation perdurer car Patek Philippe ne peut pas se contenter d'être un challenger sur le thème qui constitue la pierre angulaire de son message (la montre patrimoniale). Le record absolu avec la montre Graves ne peut lui suffire. Alors, une autre montre-bracelet record peut-elle se profiler dans les prochaines années? Une montre qui, dans tous les cas, n'échappera pas à Phillips.
Enfin, même en mettant de côté les montres "stars" des ventes aux enchères, comment ne pas ressentir le gouffre qui existe dorénavant entre le marché des montres de collection qui bat records sur records et  le marché du neuf qui lui, souffre. Cette situation est tout de même inquiétante car il témoigne d'une orientation très marquée de la part des collectionneurs qui délaisse de plus en plus le neuf. Une réflexion et une remise en question s'imposent au sein des marques.