L'oscillateur "Sémon" peut-il sauver Zenith?

L'actualité horlogère de la rentrée est marquée par la présentation de la Zenith Defy Lab qui utilise un tout nouveau mouvement basé sur un oscillateur qui réinterprète le principe du balancier-spiral défini par Christian Huygens au XVIIième siècle. Rien que le fait que Zenith fasse les grands titres des médias horlogers est une excellente nouvelle pour Jean-Claude Biver. En effet, on ne peut pas lui retirer ce mérite: il est un des rares à croire encore à l'avenir de Zenith  quitte à agir de façon surprenante. Alors que la logique (ou tout du moins la raison) voudrait que Zenith se mette au service de LVMH en devenant principalement un "motoriste" pour les autres marques du Groupe, Jean-Claude Biver met la R&D du pôle horloger de LVMH (sous la responsabilité de Guy Sémon) au service de Zenith. Alors, évidemment, ce n'était pas l'idée première. Le prototype du mouvement à oscillateur "Sémon" portait encore le logo Tag Heuer il y a quelques semaines. Au bout du compte, Zenith fut choisi comme véhicule de cette innovation ce qui prouve que l'ambition de Jean-Claude Biver pour la marque reste intacte.

Un mouvement réellement innovant

Cela faisait plusieurs mois que la communauté horlogère savait que LVMH allait sortir un mouvement "révolutionnaire" et pourtant, la surprise fut au rendez-vous. Révolutionnaire, le terme est peut-être excessif car l'architecture d'une montre mécanique n'est pas modifiée. Cependant, le traitement de l'organe réglant bouscule les pratiques actuelles (et traditionnelles) en remplaçant la trentaine de pièces le constituant par une seule: ce fameux oscillateur en silicium. Les performances affichées (qui évidemment nécessiteront des confirmations sur la durée) sont impressionnantes: une fréquence de 15hz, une précision de 0,3s/jour (dont les conditions de calcul devront être fournies), un comportement stable sur 95% de la réserve de marche, une résistance aux champs magnétiques,  une insensibilité aux perturbateurs habituels (gravité, températures), l'absence de lubrification... tous ces points forcent le respect. De mon point de vue, le plus admirable est la gestion de l'énergie. Imaginons une montre traditionnelle avec une fréquence de 15hz. Compte tenu de la consommation d'énergie nécessaire, de la taille du balancier, il faudrait se promener avec une brouette contenant le barillet pour obtenir une réserve de marche de 60 heures. Or, la Zenith Defy Lab, la montre qui est animée par le mouvement à oscillateur "Sémon" a un diamètre fort raisonnable de 44mm. 

La forme particulière de l'oscillateur qui rassemble en une seule pièce tous les éléments constitutifs d'un organe réglant:

Crédits: Zenith 

La prouesse réside dans l'oscillateur qui rassemble en une seule pièce les différentes composantes de l'organe réglant. De fait, il n'y a plus de frictions, de pertes d'énergie, de contraintes entre ces éléments. En toute logique, il a fallu alléger au maximum cet oscillateur compte tenu de sa taille. C'est la raison pour laquelle il a été fabriqué en silicium monocristallin permettant par la même occasion d'obtenir une très grande finesse (0,5mm).

A la découverte de l'oscillateur "Sémon", je me suis fait deux réflexions: il justifie enfin le rôle du silicium dans l'horlogerie et il ringardise de façon quasi immédiate, non pas l'horlogerie traditionnelle mais toutes les concept-watches en cours ou à venir. Ces dernières peuvent rester dans les cartons, elles sont mortes.

Un mouvement intelligemment conçu

Et pourquoi elles sont mortes? Tout simplement parce que la Zenith Defy Lab a déjà franchi la première étape: on ne parle plus de prototype puisque 10 montres ont été vendues à des collectionneurs. Et tout le monde sait que le passage du prototypage à la micro-série est casse-gueule. Et je n'ai aucun doute sur le fait que le passage de la micro-série à la production plus large se passera sans problème. C'est toute l'intelligence autour de ce mouvement qui, avec l'évolution des technologies, deviendra de plus en plus simple à produire.

Simple à produire, simple à réparer également. Le problème du silicium est son comportement sur la durée. Il s'effrite et il casse. Mais aucun risque qu'il endommage en même temps d'autres éléments de l'organe réglant: l'oscillateur ne se réparera pas, il sera remplacé par une nouvelle pièce. L'entretien de la montre se focalisera sur les autres éléments mécaniques, de toutes les façons moins délicats que l'organe réglant. On pourra même imaginer un remplacement de l'oscillateur lors d'une révision périodique avant tout signe "de fatigue".

Enfin, le mouvement est évolutif: sa gestion de l'énergie est si efficace que l'adjonction de complications (et on pense évidemment au chronographe compte tenu de la fréquence élevée) ne devrait poser guère de problème.  

Les capacités de production sont prêtes. L'ambition est de produire un nombre élevé de mouvements:

Crédits: Zenith

Deux bémols à ce stade

Je n'ai pas pu assister à la présentation et donc je n'ai pas pu apprécier la Zenith Defy Lab de mes propres yeux... et oreilles. Car le mouvement à oscillateur "Sémon" a selon moi deux bémols mais qui me paraissent mineurs compte tenu des performances: la vision côté cadran donne la migraine et le mouvement fait beaucoup de bruit. La présentation à cadran ouvert de la montre à destination des collectionneurs est logique: elle met en valeur l'oscillateur et c'est la raison pour laquelle les défauts sont amplifiés. Gageons que par la suite ces problèmes seront fortement réduits avec un cadran adapté et une meilleure isolation sonore.

Tout ceci est très bien mais concrètement pour Zenith, qu'est-ce que ça va apporter?

Le choix d'utiliser le véhicule Zenith pour ce mouvement est louable. Mais la vrai question est de savoir si cela peut sauver la marque. Et sur ce point là, j'ai des doutes. Le problème de Zenith est que la marque souffre cruellement d'un modèle représentatif, connu du grand public, qui pourrait tirer les ventes. La force de Zenith est de posséder un mouvement "iconique" (El Primero) mais hélas, ne possède pas de montre "iconique". L'arrivée d'un tel mouvement ne pallie pas ce manque. Il faut donc espérer que la montre de série qui en sera équipé soit très désirable pour connaître le succès. On achète une montre mécanique avant tout pour l'émotion qu'elle crée, pas pour ses performances. Si c'était le cas, tout le monde porterait des System 51 qui est peut-être le mouvement traditionnel le plus innovant...le tout pour un prix de 150 euros. 

De plus, même si Jean-Claude Biver nous vend l'image "innovante" de Zenith à travers son histoire et ses développements de mouvement, force est de constater que pour le grand public l'innovation n'est pas forcément le trait de caractère qui définit le mieux la manufacture. Ne prend-il pas le risque de procéder à un mélange des genres peu compatibles?

Le boîtier de la Zenith Defy Lab est réalisé en Aeronith ce qui donne cette texture particulière:

Crédits: Zenith

En tout cas, Jean-Claude Biver a voulu être dès le départ très performant du point de vue tarifaire. Un signe ne trompe pas: les 10 montres initiales ont été vendues à un prix de 30.000 CHF soit un tarif très raisonnable pour une montre de micro-série (dont chaque exemplaire est unique) équipée d'un mouvement innovant. La volonté est de produire ce mouvement à grande échelle et sa conception le prouve. On pourra donc s'attendre à une montre Zenith à "oscillateur Sémon" avec un prix de plusieurs milliers d'euros... se trouvant dans un segment ultra-concurrentiel. 

Il est bien entendu trop tôt pour savoir quelles seront les orientations stratégiques définitives de Jean-Claude Biver autour de ce mouvement et je n'ai pas de boule de cristal. J'ai cependant la conviction que l'avenir à moyen terme d'un tel mouvement, si bien conçu et si "intelligent" est l'entrée de gamme. Il prendra tout son sens avec de fort volumes, réduisant ainsi l'appréhension des clients face à une technologie "propriétaire". Et comme Jean-Claude Biver le perçoit bien, il n'exclut pas de délivrer le mouvement à des marques extérieures à LVMH.

Alors, finalement, c'est peut-être cela l'avenir de Zenith et Jean-Claude Biver nous fait un billard à plusieurs bandes. Alors que j'imaginais Zenith comme motoriste de LVMH, il imagine Zenith (et LVMH) comme motoristes d'une grande partie de l'industrie horlogère. Et pourquoi pas?