Lange & Söhne: Richard Lange Seconde Sautante

La Richard Lange Seconde Sautante n'est pas la montre la plus compliquée de la collection 2016 de Lange & Söhne mais elle est selon moi la plus intéressante et séduisante. En fait, cette montre me comble tant du point de vue technique que du point de vue esthétique et c'est la raison pour laquelle je la place au sommet de ma sélection des montres marquantes du SIHH 2016.

Inspirée par le cadran de la montre de poche de Johann Heinrich Seyffert datant de 1807, la Richard Lange Seconde Sautante se distingue cependant des deux autres montres dans le même cas: la Richard Lange Tourbillon pour le Mérite et la Richard Lange Terraluna. Tout d'abord, elle ne possède aucun affichage additionnel si ce n'est un très discret indicateur de fin de réserve de marche à l'intersection des deux sous-cadrans inférieurs. Ici, point de date, point de tourbillon: le cadran est épuré et proche de celui de la montre de poche et ce, pour mon plus grand plaisir. Je dois avouer que cela faisait plusieurs années que je souhaitais cette approche beaucoup plus simple. Le cadran mobile de la Richard Lange Tourbillon et le joyeux bazar de la Richard Lange Terraluna ne m'ont jamais entièrement convaincu.


Et puis, complication oblige, les affichages ne sont pas placés aux mêmes endroits. Sur les deux premières montres, le sous-cadran principal et supérieur est dédié aux minutes. Logique pour une montre de type régulateur puisque la minute est l'indication prioritaire. En revanche sur la Richard Lange Seconde Sautante, c'est l'affichage des secondes qui occupe cette place de choix. Et dans ce cas également, ce choix est logique puisque toute la montre est organisée autour de cette seconde sautante (adjectif à la connotation bien plus positive que celui de "morte"): le comportement de l'aiguille des secondes non seulement anime et décore le cadran mais interagit avec le mouvement. Les heures se retrouvent dorénavant à gauche alors qu'elles sont situées sur les deux montres précédentes à droite. Il faut donc imaginer que leurs cadrans ont effectué une sorte de rotation de 120 degrés vers la gauche pour obtenir celui de la Richard Lange Seconde Sautante.


Ma première réaction en découvrant cette toute dernière Richard Lange fut d'apprécier son diamètre raisonnable, inférieur à 40mm, 39,9mm pour être d'une précision toute germanique. Cette taille est idéale car elle donne une élégance générale à la montre tout en laissant suffisamment de place sur le cadran pour assurer un minimum de lisibilité des indications. L'ensemble est d'une très grande sobriété puisque le cadran en argent massif rhodié prolonge la couleur neutre du boîtier en platine. Cette discrétion a un but principal: celui de mettre en valeur l'aiguille des secondes en acier bleui. D'ailleurs, les deux aiguilles en or rhodié dédiées aux heures et minutes semblent s'effacer derrière le contraste plus marqué de l'aiguille des secondes. Les deux concessions dans cette atmosphère quasiment monochrome sont les indications en rouge des quarts des minutes et le petit triangle logé à l'intersection des deux sous-cadrans des heures et minutes. Il ne s'agit nullement d'un indicateur de réserve de marche puisqu'à aucun moment, il n'apporte une information sur le niveau précis de cette réserve. En revanche, il peut être défini comme un témoin de fin de réserve. Lorsque cette dernière passe en dessous des dix heures, ce triangle devient rouge et rappelle au propriétaire de la montre qu'il est temps de la remonter. L'enjeu ici est de préserver la montre contre un arrêt intempestif en fin de réserve de marche mais pas d'inciter à un remontage régulier afin d'assurer le meilleur isochronisme: le mécanisme de force constante agit de toutes les façons.

Le comportement de la grande aiguille des secondes:



Le cadran est exécuté avec soin et finesse. Cependant, il ne possède ni relief, ni élément appliqué ce qui peut donner l'impression d'un rendu assez plat. J'imagine que Lange a privilégié une telle approche pour rendre la lecture du temps la plus aisée possible. Car, il ne faut pas l'oublier, les montres inspirées par la montre de poche de Seyffert sont des régulateurs et cette lecture nécessite une petite gymnastique intellectuelle.

Je dois avouer que j'ai toujours du mal à lire l'heure correctement avec les régulateurs du fait de la séparation des axes des aiguilles des heures et des minutes. D'ailleurs pour éviter toute confusion, Lange a veillé à indiquer les quarts des minutes mais a laissé le sous-cadran des secondes sans aucun chiffre. Avec de l'habitude, la lecture du temps devient plus aisée même si dans certaines positions des aiguilles, elle peut demeurer délicate. Mais après tout, est-ce si important? Notre regard est captivé par le comportement de cette grande aiguille des secondes qui bat la mesure comme un métronome.


Cette aiguille n'a pas l'unique but d'afficher le temps de manière plus précise en se déplaçant que lorsque la seconde est écoulée. La façon dont elle évolue rappelle la construction particulière du mouvement.

Tout d'abord, la Richard Lange Seconde Sautante n'est pas uniquement une montre à seconde sautante: elle comporte donc également un mécanisme de force constante et un zéro-reset, rarement vu sur une montre à remontage manuel chez Lange (la première dans ce cas étant la Richard Lange Referenzuhr). J'aime beaucoup l'idée d'associer cette seconde sautante au zéro-reset. C'est en effet un vrai plaisir que de voir (et sentir!) le retour instantané à zéro de cette grande aiguille en tirant la couronne. Le calibre L094.1 a pour rôle de mettre en oeuvre ces complications et surtout de les associer.


3 éléments se distinguent nettement à l'observation du mouvement:
  • le balancier à masselottes équipé d'un spiral maison. La fréquence du mouvement est de 3hz et sa réserve de marche est de 42 heures.
  • le pont à la forme particulière situé à côté du balancier qui recouvre le mécanisme de zéro-reset
  • enfin, l'ouverture située au-dessus du balancier qui dévoile en partie le mécanisme d'échappement à force constante.
Le calibre utilise deux trains de rouage. Le premier s'occupe particulièrement de la gestion de l'énergie. Il transmet l'énergie délivrée par le barillet à l'organe réglant par le biais de l'échappement à force constante et ce, à intervalles réguliers d'une seconde. Non seulement le mécanisme d'échappement à force constante assure une amplitude stable y compris en fin de réserve de marche mais il compense également les fluctuations du couple du mécanisme de seconde sautante.

Le second train de rouage est dédié au mécanisme de saut. La fréquence du mouvement étant de 3hz, l'aiguille des secondes devrait logiquement effectuer 6 pas par seconde. Le mécanisme de saut oblige l'aiguille à effectuer un seul saut par seconde grâce à une étoile à cinq dents fixée sur la roue d'échappement. Cette étoile effectue une révolution complète en cinq secondes. A chaque seconde, une dent de l'étoile libère un levier qui exécute une rotation instantanée avant d'être bloqué par la dent suivante de l'étoile. Cette rotation anime le train d'engrenage qui est relié à l'axe des secondes et l'aiguille effectue alors son déplacement. Il est aussi important de noter que l'impulsion de la seconde sautante sert à réarmer le ressort-moteur de l'échappement à force constante. La seconde sautante et le mécanisme de force constante sont donc liés renforçant ainsi la cohérence de la montre.


Le mécanisme de zéro-reset n'était pas non plus simple à développer dans le contexte de la seconde sautante. Il occupe d'ailleurs une place significative dans l'architecture du mouvement. En tirant la couronne, le mécanisme de zéro-reset bloque le balancier grâce à un ressort spécifique et libère un embrayage composé de trois disques. La remise à zéro débute alors grâce à un levier qui en touchant le coeur de remise à zéro remet l'aiguille des secondes en position zéro de façon immédiate.

Le calibre L094.1 n'est pas seulement abouti techniquement parlant: il est aussi visuellement réussi en reprenant les codes de Lange et en respectant ses critères de qualité et de finition. J'aime beaucoup la présence du mécanisme de zéro-reset et la façon dont le balancier à masselottes est mis en valeur. En revanche, j'aurais aimé que le mécanisme de force constante soit plus visible, l'ouverture sur la platine 3/4 me semblant insuffisante.


La Richard Lange Seconde Sautante n'est pas une simple montre à seconde morte. En combinant cette particularité avec les mécanismes de force constante et de zéro-reset, Lange & Söhne est parvenu à créer une montre d'une grande cohérence où chaque fonction joue un rôle spécifique. Je retrouve bien l'esprit de la collection Richard Lange basé sur la chronométrie. La force constante assure la stabilité de fonctionnement y compris en fin de réserve de marche. Le zéro-reset permet la mise à l'heure précise. Et la seconde sautante affiche le temps avec justesse pour une lecture optimale. Cette harmonie technique est le grand atout de cette montre. Rien ne semble être là par hasard et tout va ensemble.

Le plaisir au porter n'est en que renforcé. L'observation des sauts de la trotteuse provoque un rappel permanent des performances du mouvement et le côté décalé de la présentation du cadran contribue fortement au charme et à l'élégance subtilement décontractée de la montre. La manufacture saxonne est avec cette pièce au meilleur de sa forme. Classique et originale, élégante et technique, la Richard Lange Seconde Sautante est une des plus belles montres de Lange & Söhne de ces dernières années.

La Richard Lange Seconde Sautante est commercialisée dans le cadre d'une série limitée de 100 exemplaires en platine uniquement.

Merci à l'équipe Lange & Söhne pour son accueil pendant le SIHH 2016.

Les plus:
+ une réussite esthétique et technique
+ la cohérence des spécificités du mouvement
+ la taille idéale du boîtier
+ la présentation du mouvement et notamment du mécanisme de zéro-reset
+ la qualité des finitions

Les moins:
- un cadran qui manque de relief
- le mécanisme de force constante aurait mérité d'être plus visible