Cartier: Ronde Croisière

Pour une marque généraliste comme Cartier, chaque segment compte. Et la nouvelle collection Ronde Croisière, qui arrive en cette fin d'année, nous en apporte une nouvelle preuve. L'objectif de cette collection est de se loger dans un espace entre les différentes montres Solo, le véritable entrée de gamme de Cartier et les pièces plus emblématiques comme Ballon Bleu ou Calibre. Cet espace, qui peut nous sembler relativement étroit, correspond peu ou prou aux prix autour de 4.000 euros mais dans un monde horloger extrêmement concurrentiel, Cartier se devait d'y être présent de façon plus marquée.


Ronde Croisière nous éclaire également sur deux orientations stratégiques de Cartier. La première est l'utilisation du mouvement 1847 MC qui avait fait son apparition dans le contexte de Clé. Ce mouvement a pour objectif, petit à petit, de remplacer les mouvements ETA qui sont encore utilisés dans plusieurs montres de la collection. Si son emploi dans Clé m'a semblé surprenante du point de vue de la cohérence de la collection (le mouvement 1904 MC, que je considère comme supérieur se retrouve dans des montres moins onéreuses que Clé), il est en revanche tout indiqué pour animer les différentes versions de Ronde Croisière. La deuxième est le retour d'un style plus décontracté chez Cartier, suivant la tendance initiée par la Calibre Diver et qui faisait cruellement défaut depuis le retrait de montres mythiques comme la Santos Carbone ou la Pasha.


Ronde Croisière fut d'abord dévoilée sur le marché américain à la fin de l'été ce qui me donna l'occasion de la découvrir sur photos. Je dois avouer qu'à ce stade, je n'étais pas franchement emballé. L'opportunité de porter pendant quelques jours la version à cadran ardoise me permit de réviser mon jugement et je considère maintenant Ronde Croisière comme une jolie réussite même si elle n'est pas exempte de tout reproche.

En un sens, Ronde Croisière, disponible en 3 versions (acier et cadran blanc, acier et cadran ardoise, bicolore et cadran ardoise), est une montre de synthèse entre plusieurs univers mais qui parvient toutefois à posséder sa propre identité. Son boîtier possède un rapport diamètre (42mm) sur épaisseur (9,7mm) relativement élevé ce qu'il lui confère une allure élancée. Complété par la couronne ornée d'un cabochon en spinelle synthétique, le boîtier est agréable à porter, élégant et m'évoque, si j'oublie les cornes,  celui de la collection Rotonde ce qui est une bonne référence. Les chiffres romains ainsi que la minuterie périphérique sont des éléments de style traditionnels de Cartier et qui, une fois combinés avec le boîtier, ne laissent planer aucun doute sur la marque de la montre. L'atmosphère Cartier est facilement reconnaissable même si Ronde Croisière propose plusieurs originalités.


La première de ces originalités est la lunette en acier avec un revêtement ADLC. Cette lunette, légèrement inclinée, m'évoque celle d'une plongeuse mais elle n'est pas tournante. Elle donne un aspect plus sportif à la montre et surtout elle réduit considérablement l'ouverture du cadran, diminuant ainsi la taille perçue. Sa couleur anthracite se marie parfaitement avec les cadrans "ardoise" alors que le contraste avec le cadran blanc m'a beaucoup moins séduit. L'inclinaison de la lunette préfigure les courbes du verre légèrement bombé et j'aime beaucoup le rôle joué par ce verre dans la réussite esthétique de Ronde Croisière. En revanche, le verre a tendance à capter un peu trop les reflets ce qui nuit à la lisibilité du cadran.


La deuxième originalité est constituée des deux aiguilles principales et de la trotteuse. Les aiguilles glaives sont évidées pour apporter une certaine légèreté visuelle tandis que la trotteuse "Lollipop", elle aussi évidée, anime de façon ludique le cadran. Ces aiguilles, vierges de toute luminescence, combinent joliment avec les chiffres romains en relief et favorisent l'atmosphère décontractée de la montre. En revanche, elles se détachent moyennement du fond du cadran anthracite et la lecture de l'heure peut s'avérer délicate dans certaines situations. L'absence de luminescence sur les aiguilles et la lunette est sujette à débat. Alors que Ronde Croisière revendique une approche moins formelle et se veut adaptée à toute situation, n'aurait-il pas fallu proposer des aiguilles lisibles dans l'obscurité? Et même si la montre n'est pas une plongeuse, elle propose tout de même une étanchéité de 100 mètres. Auquel cas, pourquoi se priver de cette luminescence et d'une lunette tournante? Je pense que Cartier n'a pas voulu créer une sorte de "double-emploi" avec la Calibre Diver et risquer de cannibaliser les ventes de cette dernière. Dommage que Cartier ne soit pas allé au bout de la logique avec Ronde Croisière en la rendant véritablement fonctionnelle en toute circonstance.


La dernière originalité est le bracelet en veau particulièrement réussi. Cartier lui a donné un aspect "tissu de kevlar" que je trouve adapté à l'allure de Ronde Croisière. Son confort et sa souplesse procurent du plaisir au porter et ce, d'autant plus que la boucle déployante papillon permet un réglage fin des deux côtés de sa position . Je ne suis cependant pas pleinement satisfait par cette boucle. Certes, une fois que l'on a compris comme la fermer sans forcer, elle devient plus agréable à manipuler. Mais elle continue à maltraiter les bracelets qui sont très marqués par le système de fermeture propre à Cartier avec repli vers l'intérieur. De plus, si ce repli est long, il a tendance alors à se déplacer latéralement et à devenir visible sous la partie principale du bracelet ce qui n'est pas très beau esthétiquement parlant. Le confort est certes au rendez-vous et l'assise et la finesse du boîtier y contribuent beaucoup mais la boucle reste pour moi un élément à améliorer.


Si le calibre 1847 MC n'est pas du point de vue technique du même niveau que le 1904 MC et son double-barillet qui lui assure  un meilleur couple, il fonctionne en revanche de façon très efficace avec une excellente efficacité au remontage. Il tourna sans souci lorsque j'eus l'occasion de porter Ronde Croisière. Même si je regrette une réserve de marche trop courte selon les standards d'aujourd'hui (42 heures), il est adapté au contexte de la montre et à son prix. Ce mouvement joue un rôle stratégique important pour Cartier et j'ai la conviction qu'il se comportera avec fiabilité puisque l'atteinte d'un taux de SAV parmi les plus bas du marché est l'objectif principal de la manufacture... qui a les moyens de ses ambitions. Le 1847 MC n'est pas un joli mouvement, étant orienté vers l'efficacité mais comme le fond du boîtier de Ronde Croisière est plein, cela n'a aucune importance. 


Le principal atout de Ronde Croisière reste son style particulièrement réussi. Malgré la cohabitation d'éléments en provenance de différents univers, l'ensemble est très agréable à regarder et j'ai pris du plaisir à porter cette montre à la faveur notamment de ses diverses teintes de gris. Elle est à l'aise avec un costume ou en week-end grâce à un équilibre subtil entre élégance et décontraction. La finesse du boîtier poli et la jolie forme des cornes complètent un bilan esthétique très convaincant. Malgré plusieurs défauts (la lisibilité dans certaines conditions et la boucle déployante qui peut agacer), Ronde Croisière m'a beaucoup plu lorsqu'elle offre son cadran gris ardoise. Son prix compétitif (a priori autour de 4.200 euros) et l'utilisation cohérente du mouvement 1847 MC renforcent un bilan positif qui positionne Ronde Croisière comme une proposition crédible et séduisante d'entrée de gamme de manufacture chez Cartier.

Les plus:
+ un boîtier élancé, élégant et confortable
+ le cadran anthracite, particulièrement réussi
+ une montre polyvalente du point de vue esthétique
+ un prix adapté

Les moins:
- la lisibilité dans certaines conditions de lumière
- la boucle déployante qui peut s'avérer agaçante
- dommage que Cartier ne soit pas allé au bout du concept de la polyvalence à l'usage et n'a pas profité de l'étanchéité pour rajouter de la luminescence et une lunette tournante