Ludovic Ballouard: Half Time à chiffres chinois

Le plus beau succès de Ludovic Ballouard est d'être arrivé en quelques années à rendre son style reconnaissable au premier coup d'oeil. Le plus intéressant est qu'il ne s'agit pas forcément d'une approche esthétique mais bien d'une interprétation de l'affichage du temps qui lui est propre. Que ce soit l'Opus XIII, l'Upside Down ou la Half Time, chacune de ces montres, pourtant bien différentes, porte incontestablement sa signature. J'ai déjà présenté en détail la Half Time initiale dans cet article. Je souhaite revenir dessus à l'occasion de la sortie de la version à chiffres chinois qui fut dévoilée lors de Baselworld 2014.


Dire que la Half Time à chiffres chinois surfe sur le potentiel du marché auquel elle s'adresse est d'une grande banalité. Les collectionneurs chinois ayant beaucoup progressé dans leurs connaissances et leurs critères d'appréciation, ils abordent de façon  plus positive les démarches originales et sincères de certains indépendants. Il ne faut cependant pas s'arrêter à cette pure considération stratégique. Compte tenu de l'affichage des heures spécifique de la Half Time, la présence des chiffres chinois apporte un intérêt esthétique certain qui permet d'affirmer que cette évolution est finalement bienvenue. Je rappelle brièvement le principe de l'affichage de la Half Time:
  • les heures sont affichées par le biais d'un disque central et d'un anneau périphérique tournant en sens contraires et qui s'alignent pour que l'heure adéquate apparaisse dans le guichet à douze heures. Les chiffres sont en effet coupés horizontalement en deux (d'où le nom de la montre) et sont donc illisibles en dehors du guichet.
  • les minutes sont indiquées grâce à une aiguille rétrograde dans la partie inférieure du cadran.


La montre cumule donc  le principe des heures sautantes avec un système rétrograde, une combinaison que nous avions l'habitude de retrouver chez Gérald Genta mais qui est cette fois-ci renouvelée grâce à la particularité du mélange des chiffres.

A vrai dire, même si je ne connais absolument pas les chiffres chinois, je trouve que le rendu visuel du cadran est plus réussi dans cette version qu'avec celle à chiffres romains car les courbes et les traits de la typographie chinoise s'accommodent mieux du méli-mélo du cadran. Même lorsque les parties inférieures et supérieures ne correspondent pas (ce qui est le cas 11 fois sur 12), les formes ainsi créées demeurent harmonieuses et très agréables à observer. Et comme les atouts du cadran demeurent avec les effets de relief et l'aiguille des minutes bleuies qui se détache nettement, il est au bout du compte difficile de ne pas se laisser séduire, même sans être familier avec la langue chinoise, par l'originalité et le charme de cette Half Time. La lecture du temps ne pose d'ailleurs aucun souci pour deux raisons: les minutes (l'information peut-être recherchée en priorité) suivent une graduation avec des chiffres arabes et notre esprit mémorise à l'usage très vite les 12 chiffres chinois.


Les autres éléments de la Half Time restent identiques à la version précédente dont évidemment le spectaculaire mouvement à remontage manuel. Ce dernier présente un rendu se détachant nettement de celui du mouvement de l'Upside Down marqué par la présence des croix de Malte. Le mouvement de la Half Time est plus subtil dans son aspect même s'il possède une organisation similaire: la partie centrale basée sur un Peseux 7001 (regardez la position de la roue de couronne, du rochet et du balancier) est dédié à l'alimentation de l'affichage, la partie périphérique et supérieure à l'animation de cet affichage. Ludovic Ballouard a consacré beaucoup de temps à  la gestion de l'énergie de cette montre afin que le cumul de la rotation du disque, de l'anneau et du retour de l'aiguille rétrograde à l'issue de la 59ième minute ne perturbe pas la chronométrie. La finition est ici "monocolore" et je dois avouer que j'ai une préférence pour la finition laiton doré qui permet de mieux faire ressortir les pièces mobiles du mouvement. J'imagine que de toutes les façons la Half Time à chiffres chinois est aussi disponible à la demande avec ce type de finition.


J'ai pris beaucoup de plaisir à porter la Half Time à chiffres chinois. Montre plutôt lourde à la base, elle se positionne sans souci sur le poignet grâce à son boîtier galbé et à ses cornes très courbées. Le diamètre perçu est inférieur à la taille réelle (41mm) compte tenu de l'épaisseur de la lunette. Mais cette taille est nécessaire pour profiter du mélange des chiffres sur le cadran. Et elle ne nuit pas à la beauté du mouvement puisqu'avec un diamètre propre de 35mm, il occupe généreusement le boîtier. Très paradoxalement, j'ai préféré  le cadran de cette montre, alors que je n'arrive pas à déchiffrer l'heure, à celui de la version à chiffres romains qui est pourtant la pièce censée me convenir. Cela prouve bien que dans ce segment de la très belle horlogerie indépendante, le charme a plus d'importance que le pur aspect pratique. A noter toutefois l'absence de témoin de marche (trotteuse ou autre) ce qui peut rebuter ceux qui n'aiment pas les montres "inertes". Malgré ce bémol, la Half Time à chiffres chinois, disponible avec un boîtier en or rose ou en platine et un cadran noir ou gris, constitue une très séduisante évolution de la Half Time d'origine. Grâce à son originalité et à sa qualité d'exécution, elle finit par séduire au-delà du segment de clientèle visé ce qui est rarement le cas pour ce type de montre "très connoté".

Merci à Ludovic Ballouard pour son accueil pendant Baselworld.

Les plus:
+ l'originalité de l'affichage
+ le confort au porté
+ la beauté du mouvement
+ la finition du cadran

Les moins:
- l'absence de témoin de marche côté cadran