Fonderie 47: Inversion Principle

Préambule: la montre photographiée est à l'état de prototype avec des finitions non définitives.

Fonderie 47 est le projet mené par le chef d'entreprise américain Peter Thum dont la vocation est de développer des sociétés possédant une dimension sociale et humanitaire. Petyer Thum créa ainsi Ethos Water, aujourd'hui filiale de Starbucks, dont une partie du chiffre d'affaire est consacrée au financement de programmes d'épuration d'eau et d'accès à l'eau potable dans des zones défavorisées. 

Fonderie 47 s'inscrit dans une démarche similaire en s'attaquant à un fléau qui gangrène l'Afrique:  la prolifération des fusils d'assaut. Le modèle économique n'est cependant pas le même qu'avec Ethos Water qui de son côté s'appuie sur la distribution d'un produit de consommation courante et de bas prix: une bouteille d'eau. Fonderie 47 finance la destruction des fusils d'assaut AK-47 (les Kalachnikov) par la vente de bijoux et d'une montre d'exception réalisée en 20 exemplaires dont le prix  est fixé à 350.000 dollars. La montre se devait donc d'être à la hauteur de cette prétention tarifaire  et du contexte pour lequel elle a été créée.


Son nom, "Inversion Principle" traduit l'objectif poursuivi: les fusils sont détruits, l'acier refondu et utilisé de nouveau en tant que pièce du mouvement. A la base composant d'une arme de guerre, l'acier devient l'élément d'un objet pacifique et paisible qui n'a pour unique but que d'afficher le temps qui passe. Le nom évoque aussi la façon dont le temps est affiché: les heure sautantes indiquées dans le guichet supérieur semblent s'effacer face à la prédominance de la graduation des minutes qui est parcourue par une aiguille rétrograde sur 240 degrés. Enfin, tout cet affichage du temps se situe dans un second plan car la partie qui attire immédiatement le regard est évidemment le Tourbillon central autour duquel se répartit l'affichage.

L'intérêt horloger de l'Inversion Principle est réel. Tout d'abord, des fées particulièrement douées se sont penchées sur son berceau. Le design de la montre a été confié à Adrian Glessing qui par le biais de sa société Virtualideas a participé à de nombreux projets horlogers. La conception du mouvement est l'oeuvre de David Candaux qui après 15 années passées chez Jaeger-Lecoultre a dédicé de fonder sa propre société. Créateur du mouvement d'Ivresse de Badollet, David Candaux participe donc pour la deuxième fois en très peu de temps au développement d'un mouvement particulier qui se distingue à la fois par ses performances techniques mais aussi par sa présentation.


Le design de la montre, tout en courbes et en effets de relief a pour but de positionner au premier plan le Tourbillon et la trotteuse tripale qui lui est associée. La lunette se prolonge sur le verre afin de séparer le cadran en deux zones distinctes: la première dédiée à l'affichage des heures sautantes, du Tourbillon et de la trotteuse, la seconde consacrée à l'affichage des minutes.

Si les heures sautantes se présentent dans un guichet de façon traditionnelle, le Tourbillon est en revanche beaucoup plus particulier. La forme de l'ouverture qui le dévoile rappelle celle du viseur d'un fusil. Mais ce n'est pas tout. Il évolue de façon beaucoup plus lente qu'un Tourbillon standard, en effectuant un tour complet en 3 minutes. Cette vitesse n'est pas sans rappeler celle des cages extérieures des double Tourbillons de Greubel Forsey. Comme la cage est ici unique, elle donne au Tourbillon une originalité certaine, permettant d'apprécier peut-être plus de détails que de coutume tout en ayant une vitesse perceptible. Elle conduit également à l'utilisation de la trotteuse tripale, la graduation des secondes dessinant un arc de cercle de 120°.


L'affichage à heures sautantes et à minutes rétrogrades n'est évidemment pas une nouveauté puisque, par exemple, plusieurs montres Gérald Genta utilisaient un système similaire. Il est en revanche très adapté au contexte de la montre Inversion Principle puisque le caractère instantané et violent des sauts rappelle le fonctionnement d'un fusil.

L'aiguille des minutes est plutôt discrète mais les minutes se lisent sans difficulté. Après une petite période d'accoutumance, la lecture intégrale de l'heure se fait sans souci.

Le mouvement à remontage manuel possède une réserve de marche de 6 jours. Etrangement, la montre comporte deux indicateurs de réserve de marche, ayant strictement la même fonction. Le première est logé dans la carrure gauche et s'observe par le biais d'une ouverture latérale. Le second est moins original même s'il reste inhabituel en se trouvant sur la platine du mouvement. J'ai tendance à comprendre ce double affichage car celui situé sur le mouvement l'agrémente un peu. La présentation du mouvement est en effet un peu austère même si la finition en rayons de soleil l'agrémente joliment. La partie la plus intéressante est, une fois n'est pas coutume, le rochet. Il est recouvert d'une plaque sombre réalisée à partir de l'acier du fusil détruit et dont le numéro de série est gravé sur la platine (ici: 56-3701F42).


L'Inversion Principle est une montre plutôt étrange au poignet. A vrai dire, la réussite du design réside dans le fait que tout semble converger vers le Tourbillon surélevé. Alors que le verre est très légèrement incurvé, la montre donne l'impression d'être un véritable dôme. L'heure et les minutes se lisent sans souci même si je trouve que le guichet des heures est un peu coincé par la graduation de la trotteuse. Les dimensions restent raisonnables (42mm de diamètre, 14,6mm d'épaisseur) pour une montre originale proposant un tel effet de volume. C'est une bonne nouvelle car je m'attendais à de mauvaises surprises notamment au niveau de l'épaisseur.


Je considère que Peter Thum et ses compagnons de projet ont réussi leur pari en créant une montre qui est à la hauteur de son ambition. Les rappels du contexte sont subtils et s'intègrent parfaitement dans le design. La lente évolution du Tourbillon, la façon dont il est mis en valeur et la répartition de l'affichage autour font de l'Inversion Principle une montre aboutie. Je trouve en revanche que le prix est élevé car le Tourbillon demeure "simple" malgré sa vitesse réduite. Mais voilà: je ne suis pas face à une montre quelconque. Les objectifs poursuivis lui donnent une perspective qui va bien au-delà de la simple dimension horlogère. Et cette perspective peut justifier, pour les personnes séduites par la démarche de Peter Thum, le positionnement tarifaire qui ne s'analyse pas de façon habituelle.

L'Inversion Principle est disponible en 10 pièces en or gris et en 10 pièces en or rose.

Merci à Peter Thum pour le temps qu'il m'a consacré.

Les plus:

+ les objectifs de Fonderie 47
+ la façon dont le Tourbillon central est mis en valeur et sa vitesse de rotation particulière
+ les effets de volume

Les moins:

- le guichet des heures coincé par la graduation  des secondes
- une présentation de mouvement un peu aride