Peter Speake-Marin: Dong Son

Il y un je ne sais quoi chez Peter Speake-Marin qui lui permet de toujours mettre en valeur  les démarches artistiques et les techniques décoratives alternatives: je me souviens parfaitement des cadrans en émail ou des cadrans "Frost" des premières Piccadilly. Je me remémore également avec beaucoup de plaisir certaines pièces particulières comme les "Sea and Stone", les Maki-e ou les "Engraved Fighting Time" dont les cadrans furent gravés par Kees Engelbarts. Je pense que la sensibilité personnelle de Peter, sa curiosité, son envie d'explorer de nouveaux territoires favorisent cette harmonie entre l'aspect purement horloger et la dimension ornementale. C'est ce croisement de talents que je trouve fascinant à observer même si parfois, les montres qui font l'objet de telles approches produisent des résultats étonnants voire dérangeants comme par exemple la Skulls, une superbe interprétation du concept du Memento Mori. 

La Dong Son est une montre conçue pour le marché vietnamien et commercialisée depuis 2012 dans le cadre d'une série limitée de 18 pièces. Elle s'inscrit dans cette lignée artistique et une fois de plus, la magie opère. Cependant, le contexte n'est plus tout à fait le même par rapport aux montres que j'évoquais précédemment. En effet, le boîtier traditionnel Piccadilly, immédiatement reconnaissable à son rapport diamètre/hauteur particulier est maintenant remplacé par le nouveau boîtier Piccadilly, plus fin et élancé. Si je trouve qu'à titre personnel, il perd un peu de caractère, il gagne en revanche en élégance et en raffinement. Et fort heureusement, les célèbres cornes et couronne "Speake-Marin" sont toujours là! Le cadre est posé, il ne reste plus qu'à apprécier le travail décoratif réalisé sur le cadran.

Le cadran de la Dong Son est un des plus beaux que j'ai eu l'occasion d'observer ces dernières années. Inspiré par les motifs décoratifs des tambours  de la culture Dong Son, il témoigne d'une rare maîtrise technique. Les deux rangées des motifs en relief parfaitement exécutés, semblables à des micro-sculptures, ornent majestueusement le cadran tout en créant les index nécessaires à la lecture du temps. Grâce à la finesse de la gravure, à aucun moment, le cadran en or ne semble surchargé. La Dong Son n'est pas ostentatoire: elle est lumineuse comme le suggèrent les rayons de soleil centraux.

Un tél résultat ne peut être obtenu que si les autres éléments rentrent en cohérence avec le cadran. Les élégantes aiguilles bleuies se fondent dans le décor et préservent la lisibilité de la montre malgré la complexité des motifs. Elles sont idéales dans ce contexte car leur finesse  et les pommes évidées permettent de profiter de la décoration sans contrainte. Le boîtier en or rose se marie harmonieusement avec le cadran et évite un trop fort contraste entre ces deux éléments. L'ensemble demeure étonnement mesuré (discret serait un adjectif excessif) malgré l'omniprésence de l'or. Mon seul reproche finalement dans cet ensemble délicat est la présence de la référence de la série limitée sur la carrure du boîtier. Je pense qu'un numéro gravé plus sobrement sur le fond du boîtier aurait suffit.

Le mouvement de la Dong Son est l'EROS 1 que nous retrouvons dorénavant régulièrement dans la collection Speake-Marin. Il s'agit d'un mouvement Technotime construit suivant les caractéristiques définies par Peter et qui possède une fréquence de 4hz pour une réserve de marche de 5 jours. Si sa finition n'est pas au niveau de celle du mouvement maison SM2, il présente tout de même une décoration très soignée mise en valeur par le rotor bleu dont la forme reprend la signature Speake-Marin. Son côté très évidé dégage la vue sur les ponts du mouvement ce qui est très agréable.

Je pourrais passer des heures à observer à la loupe le cadran de la Dong Son, à apprécier les moindres détails, la hauteur et l'imbrication des motifs. Il ne faudrait pas oublier pour autant de mettre la montre au poignet! Ce serait en effet dommage car elle devient encore plus spectaculaire une fois portée. Le jeu de lumière provoqué par le cadran donne presque l'impression que les motifs s'animent. Leurs reliefs créent un sentiment de profondeur étonnant et les aiguilles bleuies ne troublent à aucun moment la beauté du décor. Peter Speake-Marin a fait le choix d'utiliser le boîtier dans sa version 38mm ce qui est préférable car la lunette étant plus fine, le cadran semble plus ouvert. La Dong Son n'est pourtant pas une petite montre selon les standards actuels car la longueur des cornes et leur esthétique imposante nécessitent un poignet adapté. Au final, j'aime beaucoup ce mélange de caractères entre d'un côté le boîtier très personnel, avec ses cornes vissées et sa couronne striée et de l'autre le cadran qui rend hommage à une culture millénaire d'un autre continent.

A bien y réfléchir, peu de pièces puisent leur inspiration dans cette région d'Asie alors qu'il ne se passe pas 5 minutes sans que la Chine ne serve de prétexte à la sortie de nouvelles montres ou de cadrans dédiés. La Dong Son est donc plus originale qu'elle n'y paraît et de toutes les façons, la qualité de l'interprétation arriverait à convaincre même les plus blasés.

Merci à Peter Speake-Marin et à son équipe pour leur accueil au cours du GTE 2013.