François-Paul Journe: Octa Chronographe

François-Paul Journe aime se fixer des défis ambitieux et cette Octa Chronographe, qui ne fait dorénavant plus partie de la collection permanente, constituait un sacré challenge. En effet, la situation était un peu paradoxale: tout en respectant les critères de taille et de finesse inhérents aux boîtiers Octa, François-Paul Journe devait loger une complication additionnelle réputée pour son épaisseur.

Inutile de tergiverser, autant le dire d'entrée: cette montre a connu des problèmes de fiabilité tendant à prouver la difficulté de l'entreprise. Il est vrai qu'à la base la complication chronographe est assurément une des plus complexes à maîtriser: toute contrainte supplémentaire, voulue ou subie, peut rendre le développement d'un tel module extrêmement délicat.

La montre que je vous présente a subi "une mise à jour" (si je peux m'exprimer ainsi) de la part des horlogers de la Manufacture afin de fiabiliser son fonctionnement. Son propriétaire en est satisfait mais nous sentons bien qu'il ne s'amusera pas à lancer, arrêter et remettre à zéro plusieurs fois à la suite le chronographe. L'Octa Chronographe, même après un retour à la rue de l'Arquebuse reste une montre délicate pour ne pas dire fragile.

Mais alors pourquoi ai-je décidé de vous en parler? J'y vois trois principales raisons:
  • L'Octa Chronographe est une montre peu vue et peu présentée
  • François-Paul Journe a pris des risques et cela méritait d'être souligné
  • Et je considère cette montre comme un des plus beaux chronographes tout simplement
Lorsque nous découvrons l'Octa Chronographe, nous sommes immédiatement séduits par l'organisation du cadran. Journe a su tirer profit du cadran décentré de l'affichage de l'heure pour parfaitement intégrer les données du chronographe. Le compteur des minutes, situé à gauche semble prolonger le sous-cadran de l'heure: c''est original et rationnel en même temps. La graduation de l'aiguille de la seconde du chronographe entoure le cadran. Tous ces éléments sont reliés entre eux dessinant une forme élégante toute en courbes. La grande date est en revanche isolée mais est idéalement positionnée, dans le prolongement des deux vis entre les deux sous-cadrans, évitant ainsi que l'aiguille des secondes ne la chevauche lors du retour à zéro.

Franchement, j'ai beau chercher, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu un cadran de chronographe aussi envoutant. Certains sont parfaitement équilibrés dessinant un triangle équilatéral (Datograph), d'autres respirent la symétrie et l'ordre mais aucun ne présente une telle subtilité.

Et puis, fait rare pour être souligné: le compteur est de 60 minutes, une durée logique mais que nous ne retrouvons que de façon très occasionnelle sur les compteurs de minutes des chronographes.

Le boîtier est évidemment celui de la collection Octa (la montre photographiée a un diamètre de 38mm et un boîtier en platine). Les poussoirs reprennent la forme de la couronne ce qui crée une très jolie harmonie. Une fois n'est pas coutume, je ne m'exprimerai pas sur le comportement des poussoirs pour les raisons évoquées en préambule. Je n'ai pas souhaité les manipuler.

La construction du mouvement est, sans surprise, modulaire. La montre profite du calibre automatique 1300 à la réserve de marche de 5 jours et à la fréquence de 3hz. Lorsque nous retournons la montre, elle diffère donc peu des autres Octa: c'est le côté un peu frustrant de la pièce même si j'apprécie le rotor en or légèrement décentré. Nous retrouvons les caractéristiques techniques du 1300 à savoir le balancier à 4 masselottes, le spiral plat, le porte-piton mobile, l'absence de raquette.

Le module est logé dans un infime espace d'1mm de hauteur entre la cadran et le 1300 et qui en plus, ne lui est pas entièrement dédié puisque le mécanisme de grande date s'y trouve également. François-Paul Journe a donc dû optimiser l'utilisation de cet espace en réduisant le nombre de niveaux du module. Pour atteindre cet objectif, il a réduit la hauteur de la roue à colonne en la transformant en roue à came. La remise à zéro s'effectue par le biais d'un levier coulissant qui désengage les freins lorsqu'il heurte les pièces dédiées à cette fonction. Il ne s'agit pas d'une simple remise à zéro puisque le module est fly-back.

Au poignet, il n'y a aucune surprise puisque nous retrouvons le boîtier traditionnel Octa: la montre est très confortable grâce à sa taille mesurée et à la forme des cornes. Ce confort est un atout permanent chez Journe. Et puis, je dois avouer que le cadran est tellement hypnotisant qu'il fait oublier toutes les autres considérations.

Je viens donc de vous expliquer que je suis sous le charme d'une montre qui ne m'inspire pas totalement confiance dans le sens où la manipulation de sa complication additionnelle ne peut se faire sans une certaine appréhension. C'est paradoxal... mais finalement compréhensible. Je pense sincèrement que Journe a été trop ambitieux dans le développement de ce module car les contraintes qu'il s'est fixé rendaient la mission presque impossible. C'est franchement dommage car la présentation de la montre et de son cadran est d'une rare beauté.

Depuis, François-Paul Journe s'est de nouveau attaqué à cette complication en choisissant une autre voie et d'autres objectifs avec le Centigraphe. Le Centigraphe est une montre qui a suscité beaucoup de commentaires et de réactions pour des raisons très différentes de celles de l'Octa Chronographe. Mais c'est une autre histoire...